mardi 26 mai 2015

Stupeur et tremblements dans les rangs



Réforme... 
Du latin reformare, « rendre à sa première forme, refaire... rétablir, restaurer... améliorer, corriger ».
Merci Le Gaffiot, nous y voyons plus clair !
La réforme est un changement important, potentiellement radical, en vue d'une amélioration. Diantre, fichtre et foutre ! (comme disait l’une de mes connaissances qui ne comprenait pas le latin mais avait le sens de la formule.)
D'un point de vue militaire, la réforme est plutôt régressive - répressive ?... celui qui est réformé est considéré comme inapte.



Questions : la réforme du collège voulue par Najat Vallaud-Belkacem va-t-elle réformer notre enseignement ra-di-ca-le-ment ? Ces mesures marqueront-elles la fin de notre évolution grandilodécadente ? Nos enfants seront-ils les prochains "réformés" de la société de demain ? Comme le craignent et le dénoncent les intellectuels de notre pays, ces cerveaux prépubères vont-ils subir un récurage abrasif et polluant qui transformera la lumière de leurs va(c)illantes intelligences en tas de bouse inculte (du latin incultus, « non cultivé », « impropre à la culture ») ? 

La politique de notre ministre de l'éducation est-elle d'insalubrité publique ?

Stupeur et tremblements dans les rangs...



Au collège, le latin et le grec sont des options. Les élèves choisissent - de leur plein gré ou de celui de leur paternel (du latin paternus, « qui appartient au père ») - d'apprendre des langues... mortes (beurk, ce serait comme ingurgiter de la viande froide... n'empêche, rien ne vaut un bon tartare !) On estime que 18 % des collégiens font du latin et du grec... une... oserai-je le dire ? Une... minorité... arf, le mot est lâché. (Du latin, minor, minoris, « petit ».) Mineur, moindre, minimum... D'autant plus micro comme échantillon, que, parvenus au lycée, les latinistes et les hellénistes ne se retrouvent plus qu'en extrême... minorité (oh le vilain mot !)... 5%... rien. Rien ! (Qu'ils se disent en leur for intérieur, les décideurs, les "obligeurs" d'apprendre en rond).
- Z'avez rien compris, a protesté dame ministre, la réforme souhaite intégrer l'enseignement du latin et du grec à l'agenda obligatoire de tous les élèves. Au sein des fameux enseignements pratiques interdisciplinaires. 
- Quécekecèksa ? 
- Un enseignement fourni par plusieurs professeurs à la fois !  
Parce que l'"on" estime utile de faire se rencontrer plusieurs disciplines pour retenir l'attention des élèves, les (r)éveiller ! 
En gros, mon Loulou, si t’as quatre profs qui s’agitent devant toi au lieu d’un seul, madame Najat et ses acolytes (du grec akolouthos, « serviteur ») pensent que tu seras plus open au contenu du cours, tu piges ?
Maizalors ? On va quadrupler le nombre de profs de lettres classiques ? (Rire sardonique)
OOOOOOOoooooooOOOh, c'est géniâââl ! Nos p'tits gars ne vont plus s'ennuyer comme des rats morts  et vont tous parler l'idiome de Lucrèce ! J'suis bluffée, y'a pas à dire.
Héééé ! En plus ! Tenez-vous bien ! Madame l'a assuré : ils ne vont plus faire que des déclinaisons, les choupinous ! On va surtout leur enseigner la culture antique.
Mais ? M'interrogé-je ingénument. Mais, ne le recevaient-ils pas déjà, cet enseignement, nos juvéniles latinophiles ? 
Ben oui, mais là, ce sera o-bli-ga-toire !!! Plus du tout réservé à la minorité masochiste. 



Bon, trêve d'ironie, ne nous leurrons pas... on comprend bien qu'il s'agira là d'apporter une culture classique ludique et plus ou moins superficielle suivant l'intérêt du groupe d'"apprenants" : on va les promener, les élèves feront des "sorties scolaires", ils "monteront des projets", utiliseront les outils numériques... wahou ! Ce sera beau ! Y’aura des couleurs, du copier-coller Wikipédia et certainement un élan, un vrai… on affichera la recherche créative dans la salle d’arts plastiques et à la fin du mois de juin, on jettera les trois superbes panneaux au panier (y’a pas la place pour garder).
(Entre nous, faudrait déjà que les établissements soient équipés des fameux outils numériques et en état siouplaît.) (Entre nous (bis), faudrait que le monument antique d'à côté le soit vraiment, à côté, sinon je ne te raconte pas le casse-tête financier de l’économe pour trouver les fonds nécessaires au coût du transport des loupiots.) (Entre nous (ter), la Grèce et Rome sont déjà incluses dans les programmes d'histoire de sixième, mais bon... je dis ça...).
Finkielkraut n'a pas tort de paniquer (du grec, panikos, terreur)... cette réforme à sensation, c'est à court terme : TCHAO LATIN ! (Parce que mon coco, sans vouloir jouer la vieille réac, si tu ne les apprends pas, tes déclinaisons, tu peux toujours te brosser pour parler la langue de Sénèque !)

© Christophe Besse

Je glousse un peu, j’en rajoute à peine. Car rien n'est coordonné dans ce texte de réforme... la rue de Grenelle ne veut pas avoir la main mise sur "l'agenda" des élèves (hormis en latin ! Hinhinhin !), alors le ministère "offre" (oui, monsieur, chez nous on n'impose pas, on offre) généreusement aux collèges une... autonomie ! (Du grec autonomos, « qui se gouverne selon ses propres lois ».) Je glousse et reglousse jaune, verdâtre, acide, amer... Le ministère sent le "besoin de s'adapter aux réalités du terrain"... en gros, t'habites en banlieue, on va t'imposer le latin sans déclinaisons en mode pluridisciplinaire (comme la musique sans formation musicale, en quelque sorte), mais pour le reste, à l'aise Blaise ! Ton dirlo va pouvoir s'adapter à tes incapacités pour les transformer en éclairs de génie ! N'est-elle pas belle, la vie ? 
(Et si t'habites pas en banlieue, on va t'enlever de force tes déclinaisons latines, tes trois heures d'anglais ou d'allemand en plus, pour... pour... pour quoi, au fait ?)
(Ahlàlàlà, tout ça, faut pas le dire… c’est la mode des "tous égaux d’où qu’on soit"… pfff)

© Reiser

Je n’ai pas envie d’être de mauvaise foi. Il y a des idées... c'est plutôt positif, ces 20 % d'autonomie horaire : renforcer l'apprentissage du français si ça pêche ici, travailler davantage les questions d'éducation civique, si ça fait défaut là (je répète les propos de la ministre). C'est très bien de vouloir donner souplesse et pouvoir aux équipes pédagogiques de chaque établissement........... mais diable !!! Que vient faire (l’abolissement de) l'enseignement des langues anciennes, de l'allemand et de l'anglais en classe européenne là au-milieu ?(???) ... La réforme indique introduire une deuxième langue vivante dès la cinquième, mais veut supprimer les classes européennes ! Sous quel prétexte ? Celui incohérent qu'il s'agit de classes élitistes ! "C'est bien embêtant, vous comprenez, tous ces trop bons élèves concentrés aux mêmes endroits"... 
Bref, si t'es travailleur, motivé, autonome et responsable, que tout naturellement, tu obtiens de bonnes notes et réussis dans la joie et l'allégresse, ben... c'est pas acceptable... C'est qu't'es un privilégié... c'est pas qu'tu bosses, non ! C'est qu't'as du bol... trop d'bol. (Pourtant t'es pas forcément bien né...) (Chut !)

N'est-ce pas enthousiasmant de voir des enfants se tirer, se pousser mutuellement vers le haut ? Pourquoi parler d'élitisme ? Sait-on ce que c'est que l'élite ? 
Ne confond-on pas d'ailleurs élitiste et élitaire ? 
N'est-ce pas un choix louable et lumineux que celui de vouloir s'envoler ? Car s'emplir de connaissances, c'est bien voler, non ? Du latin Volare, « voler » et au sens figuré : « aller et venir rapidement ».......... « Per summa levis volat aequorra curru », « Et sur son char, il vole légèrement à la surface des flots » (Virgile).
C'est beau, Virgile.



Élite vient de eslite, ancien participe passé féminin substantivé de élire, lui-même du latin exlegere, réfection de eligere, « action de choisir »... Si nous appliquons cette réforme, où se situera la notion de choix ? Qui aura le choix ?
© Sempé
Tout n’est pas à jeter dans ce texte. Mais c’est une erreur de penser que le collège peut à lui seul réduire les inégalités. Il faudrait réfléchir au rôle des parents, à leurs devoirs. 
Il faudrait penser à élever et non à abaisser les niveaux sous prétexte d’égaliser l'ensemble. Il faudrait donner plus de noblesse et d'importance à l'apprentissage, aux études professionnelles. 
Il faudrait songer qu’après le collège, il y a le lycée, après le lycée, les études supérieures, puis le monde du travail… le monde, donc. Et la mondialisation. Avec ses inégalités. Et son perfect english… "anglais niveau intermédiaire" sur un curriculum vitae, ça ne se conçoit plus. (C’est tous les mômes qu’il faudrait pousser en classe euro, peut-être !) 

Il faudrait songer à nos grands aïeux grecs, romains, sans qui nous ne serions rien d'autre qu’un champ aride. Il faudrait…

Il faudrait penser que les moutons que l’on fabrique aujourd’hui ne produiront pas notre laine de demain… 
Demain, ils seront nus, à ce train.

© Dubout

Mais qu’attendre, qu’espérer de l'élite (je grince) à la tête du ministère qui se trouve dans un tel état de désœuvrement qu’elle en est réduite à réinventer un vocabulaire propre à l’Éducation  Nationale ? … On ne nage plus dans une piscine, mais on « apprend à se déplacer horizontalement en milieu aquatique profond standardisé. » (Lire ici, l’article de Luc Cédelle dans Le Monde du 16 mai 2015)... faudrait que l'élite (la vraie) se frotte au peuple (pas décent, ça), se balade dans un collège, bouffe dans une cantoche, se tape deux, trois heures de colle, de maths, de français ou de latin, tiens ! Pour faire la différence.

Il y a des réformes qui vous donnent envie de plonger.
La tête dans le trou.
© Gilles Bachelet

"Une culture est bien morte quand on la défend au lieu de l’inventer."

(Paul Veyne)