mercredi 26 octobre 2016

MERCI LE ROMANTISME !

J'ai relu dernièrement le premier reportage d'Albert Londres.

Contexte... Début de la Grande Guerre. "Coup de tonnerre dans le ciel bleu", écrivait Zweig. 
Bataclan d'obus en éclat. Nous sommes le 21 septembre 1914, la cathédrale vient d'être bombardée à Reims, Albert Londres écrit cet article : "Ils bombardent Reims".
Vibrant témoignage, début de la notoriété de celui qui deviendra le premier correspondant de guerre français.

Puis, le 29 septembre, il écrit un second article sur Reims, plus touchant encore à mon sens que le premier... Un cri du cœur : "L'agonie de la cathédrale de Reims".
Albert Londres marche entre les ruines, il personnifie la cathédrale, il en fait une torturée, une bafouée. Une fuite du toit devient coulée de larmes. 
Le spectacle est saisissant, malgré moi je frissonne encore en le lisant.

Je n'ai jamais été à Reims. Pourtant j'aime cette cathédrale comme si elle m'était familière. 
Il y a dans nos gènes, un amour des vieilles pierres... Et je souris quand je m'extasie devant un vieux puits, quand une glycine sur une ruine me ravit, quand une petite chapelle romane sous la lune me fait l'effet d'un trésor inouï.

Chapelle Sainte-Marie des Chazes - Auvergne

Je songeais hier au soir qu'il n'y a bien que les constructions dont nous vénérons l'âge, et bien sûr quelques livres... (et quelques antiques mécaniques !)

Souvent, certains vieux érudits que je fréquente (ils se nomment eux-mêmes ainsi, ce n'est pas leur faire outrage !) (Et moi-même je vieillis plus vite depuis quelques années !), ces chers vieux érudits, donc, se morfondent devant "ce monde où tout ce qui est ancien est à jeter et où l'on ne glorifie que le progrès !"

©  Johann Guyot

Ils exagèrent.
Assurément.

Mais la nuit dernière, j'ai eu l'idée d'une objection à leur faire (Rire malicieux !) et j'avais envie de la partager ici.

Afficher l'image d'origineJe lisais Lenotre, l'académicien. Théodore Gosselin, de son vrai nom. Il signait d'ailleurs G.L. - G. (Gosselin), L. (Lenotre), jardinier de Louis XIV, son arrière grand-oncle - parce qu'alors un fonctionnaire devait prendre un pseudonyme. (Il était surnuméraire au ministère des finances). 
Bref Lenotre (dont j'admire la plume vivante et drôle) écrivait :
"En 1782, un gentilhomme breton, parcourant le France en touriste, arrive à Blois, regarde la ville et note sur son carnet d'impression qu'elle est vieille, mal bâtie, sans commerces et n'offre rien d'intéressant. "Le fameux château, ajoute-t-il dédaigneusement, est dans le goût gothique, et les décorations de l'intérieur ont du même style que l'architecture du dehors". Notre Dame de Paris ne lui semble pas mériter une description, même sommaire : "Le corps de l'église est très leste en dedans", écrit-il. A la cathédrale de Chartres, ce qui le frappe c'est que, "dans le pavé de la nef est tracé un rond sur lequel, en marchant, on fait une lieue."

N'imaginez pas que ce Breton soit un profane ! Tous ces contemporains jugeaient de même : ces "vieilleries" ne les séduisaient pas ; tout ce qui n'était point de leur époque leur semblait bien "démodé".
Deux étudiants nancéiens visitaient Rouen en 1787, ils y remarquaient surtout ceci : "Les maisons sont beaucoup plus étroites par le bas que par le haut. Chaque étage avance au-dessus de celui qui le précède, de sorte que, en marchant contre les murailles, on est toujours à l'abri de la pluie".

Bien pratiques, les maisons XVe en encorbellement ! Je ne les avais jamais considérées sous cet angle... et pourtant :


Et cet anglais qui, voyageant en France, s'arrêta à Amiens. Qu'y vit-il ? La cathédrale ? Non pas. Toute sa curiosité fut pour "une halle aux blés que l'on construit dans cette ville sur un plan somptueux très étendu".

Somptueux...
Amiens : La halle aux Blés ou "Halle au Bled" selon l'inscription qui se trouvait sur son fronton,
 était comme son nom l'indique une halle où l'on trouvait graines mais aussi farines, fils et étoffes
avant d'être transformé en 1910 en salle des fêtes.
Puis........ entièrement détruite en 1918...

De ces citations que l'on pourrait multiplier, il ressort qu'au XVIIIe siècle (le préféré des savants amis sus-cités), tout ce qui n'est pas nouveau est sans intérêt !  Bande d'ingrats ! Tout ça à cause de vos lumières !

Alors ? Qu'arriva-t-il entre ce temps qui fut le leur et le nôtre ?

Le romantisme est passé par là !

« Le Voyageur contemplant une mer de nuages »
(1817-1818), par Caspar David Friedrich
C'est lui qui nous a inculqué le goût des ogives, des encorbellements et des poivrières, des pignons penchants, des masures à pans de bois et des vieux remparts broussailleux.

Chantier de la Tour de Jasseron de notre cher ami Jean-François Genevois.
Ayez une pensée pour lui, demain, 26 octobre, il débroussaillera pendant 6h30 m'a-t-il confié !
Ce sont là des remparts de 1er choix, je vous le dis !
Je ne peux m'empêcher de penser toutefois, qu'il y a aussi dans cet engouement beaucoup de regrets (un peu de remord peut-être) de tout ce que les révolutions, les guerres, la spéculation, l'incurie ont, depuis plus de deux cent cinquante ans, détruit de notre patrimoine monumental.
Il est remarquable que les grandes crises sociales attirent cet attachement aux vestiges du passé, soit qu'on les sente davantage menacés, soit que leur nombre diminuant chaque jour ajoute à leur prix.
Ainsi, jamais on n'a publié autant qu'aujourd'hui d'albums, de monographies, de beaux livres avec vues du ciel, de guides superbement illustrés de photographies décrivant les vieux châteaux et les antiques églises qui sont la parure de notre pays.

Chateau de la Bretesche (Loire Atlantique) | Franck Dubray
Beaucoup de chercheurs savants s'appliquent à en dresser le répertoire et les inventaires, et à en reproduire les divers aspects avec la minutie pieuse qu'on apporte à conserver l'image des gens ou des choses dont on pressent, dont on redoute la disparition.

...

Voilà, donc, d'Albert Londres en passant pas Gosselin-Lenotre...

Si au lieu de râler contre le progrès...
On remerciait le Romantisme ?