Tu vis, arrimée à l'établi, les yeux rivés à l'écran d'ordi, les doigts nerveux sur le clavier.
Douze heures sur vingt-quatre.
Parfois plus. Souvent plus.
Tout le temps plus.
Tu écris.
Tu lis, la nuit. Dans ton lit. Le nez dans tes bouquins... enfin, surtout dans ceux des autres...
C'est bon, les mots de ceux qui écrivent, c'est réconfortant. Ils sont fluides et délicieux, ils peuvent raconter des atrocités, ils coulent...
Les mots des autres sont une évidence.
Même s'ils ont coûté des heures et des heures d'effort à l'auteur arrimé à l'établi, les yeux rivés à l'écran d'ordi, et les doigts nerveux, impatients, et le clavier qui clic, clic, clic, et le thé qui refroidit dans la tasse, des fois qu'on louperait la phrase qui passe. C'est libre, une phrase, c'est furtif... ça vient, ça va, si on ne la pêche pas à temps, elle disparaît dans le néant et aucune autre n'a le pouvoir de la remplacer... alors, le thé... le thé grelotte. Le thé attend.
Le chat attend
Que l'histoire ait fini de dévorer
l'auteur.
En attendant il va digérer l'écureuil
Chopé dans l'érable d'à côté.
Le chat a le temps.
Le chat aime l'auteur
Parce que tous les deux chassent
Parce qu'ils n'ont ni l'un ni l'autre notion des heures.
Pourquoi j'écris ?
Parce que ça enivre
Parce que ça porte
Parce que ça vibre
Parce que ça emporte
Parce que ça file
Que ça spirale
Que ça plonge
Que ça envole
Parce que ça pleure et que ça rit
Parce que ça rit en pleurant
Et que ça pleure en riant
Parce que ça rit en pleurant
Et que ça pleure en riant
Parce que ça nuance
Parce que ça flanque la chair de poule
Et la boule au ventre
Parce que ça remplit
Parce que ça illumine
Parce que je suis là
Dans l'histoire
Parce que je suis avec
Le personnage
Et que je tombe amoureuse de lui
Toujours, immanquablement, irrésistiblement
Parce que j'adore ce sentiment, cette émotion, cette sensation
D'amour.
Pourquoi j'écris ?
Pour planer
Sans rien boire ni fumer
Pour livrer et délivrer
Pour livrer et délivrer
Pour la musique
Des mots, des virgules, des parenthèses
Qui crépitent, caressent, enrobent ou écrasent
Qui bondissent
Qui parlent et parlent et parlent et causent toujours
Et jouent
Qui font silence, aussi.
J'aime le son des mots qui résonnent dans ma tête
Ils bourdonnent.
Pourquoi j'écris ?
Pour recevoir
Pour partager
Pour prendre et garder
Pour rendre
Pour rendre
Pour éprouver
Pour éparpiller les essaims d'idées
Comme des notes sur une portée
Pour les entendre chuchoter
Pour les entendre s'agiter
Pour les entendre
Il me semble que si l'on n'est pas sensible aux sons, on ne peut écrire
Mais peut-être que je me trompe...
Pourquoi j'écris ?
Pour me relire
Et me dire que ça claque bien
Même si le lendemain, la magie n'est plus là
C'est divin de s'émerveiller
De trouver le ton, la voix, la voie
C'est une grâce
Pourquoi j'écris ?
Pour avancer
à quinze mille signes par jour
Environ
Pour voyager
Sans connaître ma destination
Parce qu'en train, on glisse le long
Alors que moi, j'entre dedans
Le paysage
Et le reste
Pourquoi j'écris ?
Pour des tas de raisons
Je ne les connais pas toutes
J'écris parce que c'est plus fort que moi
Parce que j'aime ça
Et que je ne sais rien faire d'autre.
(L'idée de l'instantané de texte, c'est d'écrire ce qui passe, en une minute chrono, sans retouche.)