jeudi 7 novembre 2013

L'HOMME LIBRE

RémY, oiseau de vie. 
Photo © Régine et J.P. Salvat

Une histoire à tenir debout.
(Editions JC Lattès)
Un livre de Régine Salvat.

Acheté au Salon du livre d'Attignat.




Le soir même, je l'ai posé sur la pile. La première à gauche de mon chevet. Celles des lectures qui ne peuvent attendre... Les lectures prioritaires.
C'est que ces (trop) brefs moments passées avec Régine et Jean-Pierre, son mari, m'avaient profondément touchée. 
Sur le stand de la librairie de Lydie, bruissant de vie, de rires, d'apostrophades et de gourmandes rabelaiseries (il y avait, parmi les Grands auteurs, quelques loups blancs au verbiage savoureux !), ces deux personnages semblaient Autres. 
Pas flous... mais flottants, aériens. Pourvus d'ailes invisibles. Au-dessus de nous sans être inaccessibles... ici et ailleurs. D'aujourd'hui et d'hier... des entre-gens d'un entre-temps.

Lorsque j'ai refermé le livre de Régine, après l'avoir lu, bu, respiré... vécu (j'ose), j'ai touché du doigt, un fragment de la mystérieuse étoffe qui habille ces deux-là.
Je crois qu'elle est essentiellement tissée d'amour en suspension... (au sens mécanique du terme.) 
Ne croyez pas que ça manque de poésie ! 
Ce couple maintient l'amour en équilibre stable. 
L'amour pour leur fils, l'amour de leur fils. 
RémY.

RémY - 2007
Photo © Régine et J.P. Salvat

C'est l'histoire de son enfant, le fil de sa vie, son petit à petit, que Régine Salvat a raconté. 
L'histoire de leur famille autour de RémY (avec un Y conquérant), atteint d'une maladie rare menant peu à peu au handicap physique et à la dégénérescence du cerveau. Une maladie évolutive. Un point d'interrogation médical. L'effroi provoqué par cette lente gangrène qui ronge la vie. Le courage de RémY et des siens.
Régine est biologiste, spécialisée en biochimie métabolique. Les maladies rares, elle connaît. 

Ce n'est pas chose facile de résumer ce livre. On ne résume pas quelqu'un. Encore moins la vie de quatre personnes : RémY, Régine, bien sûr, mais aussi  Claire, sa sœur, Jean-Pierre, son père.


RémY et Jean-Pierre
Photo © Régine et J.P. Salvat

Joli temps des cerises...
Photo © Régine et J.P. Salvat

Alors, je vais poser des touches... des touches de lectrice... Des touches d'émotion, d'émoi, mes frissons, mes troubles, mes sourires, ces petits bouts de tout ce qui fait que ce livre est un trésor. 

"N'aie pas peur, tu vas sortir de ta prison." 
Le récit débute ainsi. Un enfant, un oiseau. La mort de l'oiseau trop vite échappé. Le désespoir de l'enfant.
Tout au long de ma lecture, alors que s'édifiaient progressivement les barreaux de la cage de RémY, j'avais cet oiseau en tête. Et je ne savais plus qui, de l'enfant ou du moineau, était libre ou enchaîné.


Ma photo préférée du craquant RémY !
Photo © Régine et J.P. Salvat
"Elle est apparue, tout en catimini, par petit signes juxtaposés. 
Elle, c'est la maladie.
La sienne, à lui.
Une maladie inconnue, anonyme : une chose insaisissable.
Rémy l'a baptisée la Maladie."

Dans cette famille idéale, la Maladie s'invite, prend ses quartiers, décide de s'installer. 
Il y a maintenant ce que l'on peut montrer : les enfants blonds et mignons, le bonheur familial, et ce que l'on dissimule : les soins, la rééducation, le temps consacré à la Maladie, la perte des acquis.
Il y a ce que le regard des autres accepte de voir et ce qu'il rejette.
Il y a Régine, la maman qui encourage et Régine, la biologiste qui analyse.
Le combat ne fait que commencer.


Petit RémY et mini Claire !
Photo © Régine et J.P. Salvat

"Lire, c'est gagner sa liberté, celle de vivre en homme libre. Lire, c'est vivre !"
RémY a huit ans lorsqu'il prononce cette phrase. La Maladie l'empêche d'acquérir les clés qui ouvrent à la lecture.
Régine invente des méthodes, crée des supports d'apprentissage... rien ne la décourage, pas même les "laisse ce pauvre petit en paix."
RémY lira.


Lire, un très bon combat...
"L'arbre généreux", le livre favori de RémY
Photo © Régine et J.P. Salvat

"En changeant d'école, notre garçon avait changé de monde"
[...] Avant, [...] ils étaient Claire et Rémy, ni adulés, ni brimés.
[...] Dorénavant, ils étaient confrontés à l'hostilité sourde, aux allusions blessantes.
Lui, en tant que Rémy le Gogol.
Claire en tant que la sœur de Rémy."

"Maman, aurais-je une vie normale si je n'avais pas de frère ?"
La Maladie lui rongeait le corps, RémY la prend en pleine face, à présent.
On lui renvoie sans gant, l'image que l'on se fait de lui.
On lui balance. On le sabre de mots assassins, On l'uppercute.
Au sens propre comme au sens figuré.
De plein fouet.

Et Claire ? Claire souffre. Elle aime son frère, elle le protège, elle le porte. 
Et elle n'en peut plus. Où est sa place ? La sienne. Individuelle.
Indicible déchirure intime de celle qui accompagne.


RémY : Dessin collage de sa soeur, Claire
Photo © Régine et J.P. Salvat

"J'apprends la vie. 
Elle est faite de guerriers et de sages.
Vous ne devez pas vous en faire pour moi.
Les autres sont trop jeunes."
RémY jongle avec le Verbe. Il formule à la perfection. Chaque fois il nous chavire l'âme et le cœur en quelques mots. 
Il ne juge pas les amis qui lui tournent le dos. Il ne les maudit pas. Il réfléchit, comprend et pardonne. Il a le sens de l'humain.
Cet enfant est bouleversant.


L'enfant qui avait des étoiles dans les yeux
Photo © Régine et J.P. Salvat

"Rémy et monsieur Poulet...
Des larmes perlent à mes yeux.
Juste de l'eau et du sel mêlés.
[...] Les souvenirs heureux, je dois les évoquer.
Ils ont constellés ces années."
Monsieur Poulet, le voisin bourru, le complice. L'enfant et le vieil homme bâtissent des rêves qui s'encabanent d'espoirs.
Il y a aussi Cécile, l'amie fidèle, la belle, la profonde. 
Et madame Buob, professeur de français, qui aime franchir les limites.
Ce sont des moments chaleur qui inondent le cœur.
Plus tard, il y aura Laetitia, l'amoureuse... 

"On sous estime la clairvoyance des enfants.
En leur attribuant l'innocence de l'âge, on se rassure à mauvais escient."
Peter, l'enfant malade, l'enfant gisant que Régine visite avec Claire et RémY. La réalité. La souffrance. "Une existence en pointillé. Une survie douloureuse à temps complet."
Qui forcément les projette vers leur propre futur.
Leur réalité :
La Maladie de RémY qui n'a toujours pas de nom.
Les médecins qui parfois oublient qu'ils sont des hommes.
Le malade et sa famille qui n'oublient pas qu'il est aussi un petit garçon.
La peur sourde. Vivante.


Dessin réalisé avec un autre enfant, pour et avec RémY
Photo © Régine et J.P. Salvat

"La maladie a bon dos !
Tout ça, c'est des foutaises !"
Les Salvat en Vendée. Dans une maison. Avec une autre famille. C'est l'été. 
Cruauté des mots crachés par... l'amie (?)
Mon cœur se serre : je viens de lire ces journées sans fin passées à l'hôpital, ces efforts pour progresser malgré le mal qui force au recul, ce néant où sombre le diagnostique, ces erreurs de traitement, ces blessures morales, ces souffrances physiques.
Eux, les ont vécus.
Douleur maternelle. Insoutenable. Une gifle. Et ce 14 juillet qui vire au massacre. 
Le poids du silence qui hurle contre l'intolérance.
La vie qui explose soudain. Comme du plomb en fusion.

"Ma petite maman... s'il te plaît, essaye de dormir la nuit [...]"
La chute. 
La nuit qui suit. 
Etat second.
Régine qui lutte. Que tout s'arrête !
Plus jamais ces souffrances, ces attentes déçues, ces errances, ces agressions.
Décider de l'avenir. 
Un oreiller. Pour étouffer. 
L'enfant ? Non. La Maladie.
Étouffer,  ce n'est pas refuser, c'est accepter de faire cesser. Stop !
Cette phrase de RémY, le lendemain... "Ma petite maman... s'il te plaît, essaie de dormir la nuit................"
Ils sont terriblement durs ces chapitres où la justice décide que Régine est devenue dangereuse. Où elle est forcée d'aller vivre loin des siens. Bannie de sa famille. 
Elle est angoissante, cette solitude.
Mais toujours. L'amour. De Jean-Pierre. des enfants. Eux seuls ont compris. Savent. La voix du mari au téléphone. Le seul lien. Solide. Infiniment précieux.
Première retrouvailles. Le jour de la Sainte-Claire.

"Cette même année, la maladie a été baptisée.
D'un nom imprononçable, certes, mais officiel :
Maladie mitochondriale."
Soulagement et crainte. On sait à qui on a affaire. Mais parce qu'on sait, on découvre l'ennemi et sa nuisance. Irréversible. Implacable.
Les parents affrontent l'inacceptable : l'échéance.
RémY est devenu samouraï : il combat.
"Je parviendrai à maîtriser la Force et à trouver ma Vérité"
Il a dit aussi qu'il avait la vie devant lui pour dompter sa maladie.
"Ce n'est pas elle qui choisira. Ne jamais l'oublier."


Le samouraï créé par RémY
Photo © Régine et J.P. Salvat

"Dans les arts martiaux, on travaille la maîtrise du corps et de l'esprit, l'équilibre de l'être."
L'aïkido qui transforme RémY... qui le guide sur cette voie lumineuse de la connaissance de soi. Le chemin était déjà tracé en lui. 
RémY devient un homme qui avance.
Vers sa lumière.


RémY et l'aïkido
Photo © Régine et J.P. Salvat


"Monsieur le président, je vous demande d'avoir du courage. Vraiment."
Une lettre à la présidence. 
Celle de la dernière chance. RémY revendique le droit de mourir en paix avant l'inexorable déchéance. Demandé comme une grâce.
L'aspiration longuement, librement réfléchie, à une "mort douce".
L'euthanasie pour contrer "la crainte d'être maintenue en vie contre son gré, à un stade avancé de sa maladie."
Dans notre pays, le débat est ancien et tabou.
Ceux qui font les lois ne sont pas les malades. Ils décident en leur nom ce qui est bon pour eux et ce qui ne l'est pas.
Ceux qui font les lois n'ont pas sous les yeux le corps gisant sans autre langage que l'expression de sa souffrance.
Ceux qui font les lois pensent. De loin. Pour d'autres.
Ces autres ont un avis. Qu'on ne leur permet pas d'exprimer.
On ne leur donne pas le choix.
Ils ne sont pas représentés. Bâillonnés.
Parce que quand on est malade, qu'on est diminué ou handicapé, on est considéré comme inapte à rester un être capable de réflexion et de jugement. (Je pèse mes mots.)

Invalide de la pensée parce que trop subjectif, trop concerné ?
Dérangeant dans sa vérité brute, dans sa féroce réalité, le malade ?

Verdict : Grâce présidentielle non accordée.


Photo © Régine et J.P. Salvat


"Un dimanche, Rémy s'en est allé. Il s'est donné la mort. 
Il a tiré un trait, une ligne droite, assurée,
comme depuis bien longtemps ses mains atteintes n'en pouvaient plus tracer."

Il y aura enquête.
Encore, oui.
Qui conclura à la "mort par suicide sans aucun doute possible."
Qui rendra sa dignité à RémY "en lui reconnaissant la pleine possession de ses capacités intellectuelles."


Hongu Kumano Kodo,
voyage pèlerinage de Régine et Jean-Pierre au Japon
Photo © Régine et J.P. Salvat
"Quittez votre tristesse, elle n'est pas digne de votre enfant."
La parole de l'homme sage aux parents de RémY.
Un moine bouddhiste au Muryoko-In, un temple Shingon au Japon.
Ce pèlerinage que RémY aurait aimé faire sur les terres où était né son senseï, Maître Morehei Ueshiba, fondateur de l'aïkido.
RémY avait atteint l'Eveil. "La voix de l'harmonie du corps et de l'esprit, la compréhension de l'Univers, celle de la Libération et de la Sagesse."


Hongu Kumano,
voyage pèlerinage de Régine et Jean-Pierre au Japon
Photo © Régine et J.P. Salvat

Ce livre est un poème. Ce livre est un combat.
Ce livre de gens qui s'aiment résonne comme un chant en moi.
Celui des partisans de la vie choisie... et non celui de la vie à tout prix.
Régine Salvat
On ne peut lire les mots de Régine sans déborder. 
Tumulte des terreurs enfouies. Clameur des interdits. 
Révolte.
Bouffée d'amour aussi. Merveilleuse et bienveillante. Pour ceux qui souffrent.
Que faire ?
On se sent concerné. 
Je me suis sentie concernée par cette histoire.
Cette histoire à tenir debout.



RémY, l'illuminateur de coeur


"Un seul oiseau en cage, la liberté est en deuil"
                                              Jacques Prévert.


Photo © Régine et J.P. Salvat


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