mercredi 9 juillet 2014

Carnet d'été (3) "Cocteau, lettres à sa mère"... Festival de la correspondance à Grignan.







Jeudi 3 juillet. 17h30. 


Cours Sévigné.

Rendez-vous avec Jean... maman et moi, 17h30. De nouveau cours Sévigné. Portail, arbres, merles, lierre, lianes, herbes et arbres, moineaux, grives et libellules. Du vert en fond de scène. Du vert, côté jardin. Du vert, côté cour… petit théâtre de verdure…

Quatrième gradin de gauche, premiers sièges à droite… De là, c’est encore plus beau.

Annonce de présentation, intermittents… Et. Une voix aigrelette. Adolescente. Boudeuse un peu. Puis, vite, vite enthousiaste, trépidante, trépignante, vive, vive, vive, joueuse, gracieuse, masculine, féminine.

Une saute de voix soudaine, jeta mes pensées dans ces nues ! J’y fus.  Nicolas Maury, alias Jean Cocteau. « Lettres à sa mère ».   "Ma chérie…" il dit, "ma chérie" à sa mère, et c’est beau. Et c’est drôle. Et le poète m’enivre, comme toujours ! Cocteau c’est un verre d’alcool doux qui devient capiteux en bouche, puis fruité en mémoire… fleuri… très pur. Un si bémol. Fragile et fort, pareil, vous entendez ? Une note funambule qui a le pied sûr mais qui nous inquiète un peu… nous affole, à peine. Cocteau à vingt ans, c’est un festival de sensations en éveil

Il s’enthousiasme, raconte tout à celle qui le gâte… ne la voit que si peu, toujours lui promet. Lui écrit chaque jour. Chaque jour, c’est inouï. Fils lointain et fidèle. Amour, ami. Tout cela à la fois… jaloux, tendre, admiratif… possessif… complice... ce qu’il l’aime...

Quand j’avais seize ans ou quatorze, je ne me souviens plus, je les ai lues, ces lettres. Et je suis tombée folle amoureuse de cet homme. Juste avant d’aimer Proust ! Et là, de l’entendre parler à sa mère, je l’aimais encore… mais plus comme une jeune fille, comme une mère, justement.

Il n’est pas futile, jamais. Brillant. On l’aime. Forcément, oui, on l’aime. "Maman chérie, je t'aime partout." Ce doit être très doux de lire ceci. Jamais, ce n'est indécent, inconvenant. Jean avait un sens aigu de l'amour. Ce n'est pas donné à tout le monde.

Il raconte ses longues soirées chez Rostand … leurs promenades, leurs jeux, leurs agapes !

L’admiration qu’il voue à Satie. Se récrie quand sa mère lui dit qu’une de ses amies n’en a pas dit de bien : "On ne dit pas de mal de Satie qui est une rivière de diamants… ton amie ne sait pas reconnaître une parure d’une babiole sans prix, sans doute n’en a-t-elle jamais eu de véritable."

Stravinski… c’est fou et merveilleux d’être l’ami de Stravinski, n’est-ce pas ?

Il se promène en Algérie… nous aussi… … C’est sulfureux, c’est lent, ça pue un peu, Alger ! « Il n’y a pas de chameaux ! Que des vaches ! »… il s’ennuie parce qu’il faut s’ennuyer là-bas, sinon, on ne comprend rien. Alger se visite paresseusement. Et, au fil des lettres, Alger la divine s’éclaire.

Poésie épistolaire. Œuvres complètes que toutes les lettres de Cocteau. Il en écrivait jusqu’à quinze par jour… mais celles à sa mère, les plus merveilleuses. Car tant d’amour… et ce charme enfantin toujours. Toujours on reste l’enfant, non ?

Perfection spontanée des lettres de guerre qui suivent bientôt… il fait le fier, le joli, le beau… protège, mais il est oiseau. Parfois.

La nuit de Noël sur le front… bravoure de l’enfant.

Nicolas Maury

Genèse de ses écrits à venir, ces lettres-ci… Sourires. Dans le théâtre vert de verdure à Grignan, Cours Sévigné. J’écoute naître un poète d’à peine vingt ans… vous entendez aussi… ? Même les cigales se sont tues, tellement le chant des mots de Cocteau est unique et beau.