Jeudi 3 juillet. 17h30.
Cours Sévigné.
Rendez-vous avec Jean... maman et moi, 17h30. De nouveau cours
Sévigné. Portail, arbres, merles, lierre, lianes, herbes et arbres, moineaux,
grives et libellules. Du vert en fond de scène. Du vert, côté jardin. Du vert, côté
cour… petit théâtre de verdure…
Quatrième gradin de gauche,
premiers sièges à droite… De là, c’est encore plus beau.
Annonce de présentation, intermittents…
Et. Une voix aigrelette. Adolescente. Boudeuse un peu. Puis, vite, vite
enthousiaste, trépidante, trépignante, vive, vive, vive, joueuse, gracieuse, masculine,
féminine.
Une saute de voix soudaine,
jeta mes pensées dans ces nues ! J’y fus.
Nicolas Maury, alias Jean Cocteau. « Lettres à sa mère ». "Ma chérie…" il dit, "ma
chérie" à sa mère, et c’est beau. Et c’est drôle. Et le poète m’enivre, comme
toujours ! Cocteau c’est un verre d’alcool doux qui devient capiteux en bouche,
puis fruité en mémoire… fleuri… très pur. Un si bémol. Fragile et fort, pareil, vous entendez ? Une note funambule qui a le pied sûr mais qui nous inquiète un
peu… nous affole, à peine. Cocteau à vingt ans, c’est un festival de sensations
en éveil
Il s’enthousiasme, raconte
tout à celle qui le gâte… ne la voit que si peu, toujours lui promet. Lui écrit
chaque jour. Chaque jour, c’est inouï. Fils lointain et fidèle. Amour, ami. Tout
cela à la fois… jaloux, tendre, admiratif… possessif… complice... ce qu’il
l’aime...
Quand j’avais seize ans ou
quatorze, je ne me souviens plus, je les ai lues, ces lettres. Et je
suis tombée folle amoureuse de cet homme. Juste avant d’aimer Proust ! Et là, de
l’entendre parler à sa mère, je l’aimais encore… mais plus comme une jeune
fille, comme une mère, justement.
Il n’est pas futile, jamais.
Brillant. On l’aime. Forcément, oui, on l’aime. "Maman chérie, je t'aime
partout." Ce doit être très doux de lire ceci. Jamais, ce n'est indécent, inconvenant.
Jean avait un sens aigu de l'amour. Ce n'est pas donné à tout le monde.
Il raconte ses longues
soirées chez Rostand … leurs promenades, leurs jeux, leurs agapes !
L’admiration qu’il voue à
Satie. Se récrie quand sa mère lui dit qu’une de ses amies n’en a pas dit de
bien : "On ne dit pas de mal de Satie qui est une rivière de diamants… ton
amie ne sait pas reconnaître une parure d’une babiole sans prix, sans doute
n’en a-t-elle jamais eu de véritable."
Stravinski… c’est fou et
merveilleux d’être l’ami de Stravinski, n’est-ce pas ?
Il se promène en Algérie…
nous aussi… … C’est sulfureux, c’est lent, ça pue un peu, Alger ! « Il n’y a
pas de chameaux ! Que des vaches ! »… il s’ennuie parce qu’il faut s’ennuyer là-bas,
sinon, on ne comprend rien. Alger se visite paresseusement. Et, au fil des
lettres, Alger la divine s’éclaire.
Poésie épistolaire. Œuvres
complètes que toutes les lettres de Cocteau. Il en écrivait jusqu’à quinze par
jour… mais celles à sa mère, les plus merveilleuses. Car tant d’amour… et ce
charme enfantin toujours. Toujours on reste l’enfant, non ?
Perfection spontanée des
lettres de guerre qui suivent bientôt… il fait le fier, le joli, le beau…
protège, mais il est oiseau. Parfois.
La nuit de Noël sur le
front… bravoure de l’enfant.
Nicolas Maury |
Genèse de ses écrits à
venir, ces lettres-ci… Sourires. Dans le théâtre vert de verdure à Grignan, Cours
Sévigné. J’écoute naître un poète d’à peine vingt ans… vous entendez aussi… ? Même les cigales se sont tues, tellement le chant des mots de Cocteau
est unique et beau.