Il y a quelques semaines, j'ai reçu une missive d'Amélie, sorcière-libraire à Rennes :
Bonjour Cécile,
Benoît mon collègue libraire et moi-même, avons beaucoup aimé votre roman "La mémé du chevalier" que nous avons chroniqué pour Citrouille *.
Thierry Lenain m'a suggéré de faire une interview avec l'auteure... Seriez-vous d'accord ?
La Courte Echelle - 26-30 rue Vasselot - 35000 RENNES
J'ai répondu dans l'heure, flattée pour ma Mémé. (Elle-même excitée comme une puce Céopoilicienne à l'idée de figurer dans la recette de potion du prochain chaudron d'Amélie.)
*Citrouille, c'est bien sûr le magazine des Librairies Sorcières ! ("Quel bonheur, mazette, quel honneur !" répétait Alfonsine (la mémé) en sautillant telle la chevrette Cémoinkoulicienne que je n'ai pas pu évoquer dans mon histoire car elle tenait à garder l'anonymat.)
"Certes, me dis-je, cet intérêt pour mon insignifiante personne est bien agréable, m'encoquelicote les joues et me chamade le cœur, toutefois... je ne connais pas de sorcière et serais bien aise d'en interviewer une !"
("Oui, oui, oui !" a acquiescé Alfonsine qui, comme moi, est curieuse du monde qui l'entoure.)
Alfonsine, jeune. (Illus F. Pillot) |
("Oui, oui, oui !" a acquiescé Alfonsine qui, comme moi, est curieuse du monde qui l'entoure.)
Je propose donc à cette bienveillante sorcière :
Chère Amélie,
© Nathalie Magrez (ici) |
Vous répondriez à une liste de questions que je vous poserais et je les posterais dans un article de blog en même temps que paraîtront les vôtres dans Citrouille... qu'en pensez-vous ?
Parce que c'est fascinant la vie d'une libraire, sorcière de surcroît, et j'ai envie d'en savoir plus ! (dit-elle, curieuse !)
Elle me répond "oui" en pivoinisant un peu aussi...
(Vous pourrez lire l'interview croisée sur le site du magazine, "Citrouille Hebdo" en cliquant ici !)
Voici donc, ci-dessous !
(Vous pourrez lire l'interview croisée sur le site du magazine, "Citrouille Hebdo" en cliquant ici !)
✪ INTERVIEW D'UNE LIBRAIRE-SORCIÈRE ✪
C :
Pourriez-vous nous tracer le portrait de
votre librairie ?
Amélie :
La Courte Échelle est une librairie jeunesse et un magasin de jouets-loisirs
créatifs créée en 1984 (je n'étais pas encore libraire !)
Aujourd'hui? nous avons deux
magasins dans la même rue : la librairie sur deux niveaux (rdc : livres pour les
8 - 18 ans et les parents un peu aussi. 1er étage : pour les 0-8 ans (livres,
dvd et disques)
Nous animons la librairie le plus souvent possible avec des comités de lecteurs, des expos, des dédicaces, des
partenariats, des ateliers créatifs pendant les vacances, des vitrines
attractives (on essaie !) et des mises en avant thématiques dans la
librairie.
C'est aussi une équipe motivée,
investie au quotidien dans la promotion de la littérature jeunesse et de ses
acteurs : auteurs, illustrateurs, éditeurs...
C :
"La courte échelle", quel joli
nom ! Pourriez-vous nous raconter comment vous l'avez choisi ?
Amélie :
Ce n'est pas moi qui l'ai choisi mais les créateurs de la Courte Échelle !
Ils souhaitaient être des passeurs pour aider les enfants à grandir et donc
leur faire la courte échelle, en quelque sorte !
C :
Qu'est-ce qu'une librairie Sorcière ?
Amélie :
C'est une librairie adhérente à l'Association des librairies spécialisées
jeunesse. Nous sommes une cinquantaine en France. Notre principale priorité est
l'enfant. Nous essayons, du mieux que nous pouvons, de leur proposer des livres
intelligents pour les êtres curieux et éveillés qu'ils sont. Des livres qui les
aideront à se construire, à grandir en étant le plus ouverts possible sur les
idées et l'art.
C'est la création, l'originalité qui guide nos choix, nos
sélections, nos coups de cœur. Nos conseils tentent d'être au plus près, au
plus juste de chacun, aidés par la production éditoriale toujours plus
importante, mais pas toujours intéressante (!)... À nous de faire le tri !
Chacun sa personnalité dans ce réseau,
son type de librairie, mais on se retrouve tous dans l'intérêt des enfants.
C :
Qu'est-ce qui vous a donné envie de
devenir "libraire jeunesse" ?
Amélie :
Je voulais être libraire parce que j'aimais lire ! J'ai eu la chance de faire
mon premier stage en librairie spécialisée jeunesse (« Comptines », à
Bordeaux Clic !) et se fut une révélation ! J'ai découvert un monde inconnu et d'une
richesse incroyable graphiquement, mais aussi dans les textes, les propositions
éditoriales ! C'était en 1996 et ça ne m'a plus lâché !
C :
Comment choisissez-vous les ouvrages qui
garnissent vos rayons ? (Certains vous sont-ils imposés ?)
Amélie :
Le libraire reçoit des offices de la part des éditeurs. Il s'agit d'un contrat
passé entre l'éditeur et le libraire : ce dernier s'engage à recevoir quasiment
tous les titres d'un éditeur en échange de conditions commerciales plus
avantageuses, (mais tous les libraires ne reçoivent pas l'office).
Chaque nouveauté
arrive dans la librairie dans la quantité souhaitée par le libraire. Et c'est
là que notre choix se fait sentir : un exemplaire pour un livre qui nous paraît
peu intéressant, déjà vu, « moche » !... et une "pile"
pour les coups de cœur ! Sous certaines conditions, on peut aussi refuser des
livres trop différents de ce que nous proposons.
Donc oui, le libraire est l’un
des rares commerçants à devoir vendre des "produits" choisis et créés
par d'autres, avec un prix imposé. Il doit faire le tri dans tout ça et c'est
un sacré travail !
C :
Comment trouver un équilibre entre la
passion des livres et les contraintes commerciales d'une librairie ?
Amélie :
C'est une question très compliquée. Je crois comprendre ce que vous voulez
dire, mais je ne l'aurai pas posée comme ça !
En fait, pour tenter de vous répondre,
l'équilibre se fait assez naturellement. L'idée est de ne pas se laisser
envahir par des livres qu'on ne vendra pas (ou que l’on ne souhaite pas.) En
effet, cela peut générer des problèmes de trésorerie et fragiliser l'équilibre
économique de la librairie. Je gère ces deux aspects (la passion pour les
histoires et la lecture, et la gestion du stock) au quotidien, sans avoir
l'impression de me dédoubler ! Mais ce sont deux choses tellement
différentes, que ça peut paraître étrange de l'extérieur !
C :
Participez-vous à des salons du livre ?
Si oui, pouvez-vous nous raconter "un bon souvenir de salon" ?
Amélie :
Oui. Notamment « Rue des livres » qui est un festival du livre à
Rennes. Il a lieu en mars et s'est déroulé le week-end dernier... Et c'est déjà
un excellent souvenir ! Tous les auteurs et illustrateurs étaient
parfaitement gentils, attentifs aux libraires et au public, (oui, oui ! Ce
n'est pas toujours le cas !).
Le public était au rendez-vous avec des étoiles
dans les yeux devant les livres et les auteurs. Voilà pour moi un bon souvenir
de salon : de belles rencontres entre les enfants et les créateurs et de belles
ventes (on ne s'est pas cassé le dos à transporter des dizaines de
cartons (près de 150) aller-retour pour rien, et ça aussi c'est
chouette !).
Plus de photos ici ! |
C :
Invitez-vous parfois des auteurs ou des
illustrateurs dans votre librairie ? Que retenez-vous de ces rencontres ?
Amélie : Ça nous arrive, plutôt en fin d'année, et cela dépend des auteurs et des illustrateurs. Nous sommes avant tout des humains : parfois on accroche, parfois moins ! Quand on organise ces rencontres, c'est avant tout pour faire plaisir au public. On invite ceux qui nous plaisent à travers leur travail… Les personnes derrière sont souvent différentes, pleines d'enthousiasme et de fraîcheur, ou au contraire plus réservées, ou fatiguées... Humaines, quoi !
Amélie : Ça nous arrive, plutôt en fin d'année, et cela dépend des auteurs et des illustrateurs. Nous sommes avant tout des humains : parfois on accroche, parfois moins ! Quand on organise ces rencontres, c'est avant tout pour faire plaisir au public. On invite ceux qui nous plaisent à travers leur travail… Les personnes derrière sont souvent différentes, pleines d'enthousiasme et de fraîcheur, ou au contraire plus réservées, ou fatiguées... Humaines, quoi !
C :
Je suis fascinée par la capacité des
libraires à parler de quasiment tous les livres qui sont sur leurs rayons, moi
qui ne parviens à en lire qu'un ou deux par semaine ! Comment faites-vous pour
tous les connaître ?
Amélie :
C'est beaucoup de temps de lecture (à la maison ou ailleurs, mais rarement dans
le magasin comme les gens le pensent souvent – rires !) C'est aussi de
l'expérience professionnelle : on finit par connaître les lignes éditoriales
des maisons d'éditions, l'écriture et les manies des auteurs, des illustrateurs
(sujets fétiches, renouvellement ou non de leurs créations, etc.) ce qui nous
permet de parler d'eux sans avoir forcément lu toute leur œuvre.
C :
Qu'est-ce qu'une "bonne
journée" pour un libraire ?
Amélie :
Une journée au cours de laquelle je ne me suis pas ennuyée. Où j'ai découvert
de nouveaux livres qui vont venir s'ajouter à l'énorme pile qui s'accumule au
pied de mon chevet, sur mon bureau, dans les toilettes... Où j'ai réussi à
aller au bout de mon programme de début de journée, ou bien, où je n'y suis pas
arrivée, mais pour de bonnes raisons ! Libraire est un métier d'interruptions
incessantes ! Les belles rencontres avec les clients, les échanges…
C :
Souvent j'entends, concernant les
lecteurs de 3 à 8 ans : "Ce ne sont pas les enfants qui décident de leurs
lectures, mais leurs parents." Êtes-vous d'accord ?
Amélie : C'est souvent le cas. C'est d'abord le parent qui achète.
Il y a ceux qui prennent sans réfléchir ce que l'enfant apporte, ceux qui
refusent ce que l'enfant apporte parce qu'ils ont une idée bien différente de ce
que l'enfant doit lire ou écouter, et ceux qui essaient d'écouter
intelligemment… et toutes les strates entre tout ça ! C’est un joyeux mélange !
Et je vous passe notre regard à nous sur ces situations !
C :
Plusieurs lecteurs à partir de
9-10 ans m'ont confié qu'ils ne choisissaient que les livres dont la
couverture leur plaisait, sans lire le texte de quatrième. Qu'en pensez-vous ?
Amélie : C'est sans doute vrai. Je suis souvent étonnée de
certains livres qui "partent" sans conseil, juste grâce à l'attrait
de la couverture. Certaines situations favorisent cela aussi : Le parent
qui vient, désespéré, parce que son enfant ne lit pas. Et nous sommes le
Sauveur ! Mais l'enfant est visiblement « obligé », n'écoute pas ce
que le libraire dit (c'est le complice du parent pénible...) Alors, sous la
contrainte, il va choisir sur un dessin de couverture ou un thème. On constate
également dans nos groupes de lecteurs (plutôt de bons lecteurs, sans
contraintes !) que la couverture est un élément important de leurs choix,
presque autant que le sujet !
C :
Quel est le rapport des jeunes à la
littérature ? Qu'est-ce que cela inspire ?
Amélie : C'est une question bien trop large pour moi, je ne suis pas sociologue ! De plus, mon regard est sans doute biaisé par notre public. Mon quotidien, ce sont des familles, des ados qui viennent chercher des livres pour les lire, alors... Je ne vois jamais les enfants qui n'ont pas de livres chez eux, qui ne s'y intéressent pas. Ni ceux qui pensent que « lire c'est être intello et ça, c'est l'insulte suprême ! »
De mon point de vue, et selon mon
quotidien, le rapport à la lecture des jeunes est bon mais ce n'est que le
petit bout de la lorgnette !
C :
Quand je pousse la porte d'une
librairie, c'est comme si le temps changeait d'allure, comme si j'entrais dans
une autre dimension. Éprouvez-vous parfois cette sensation ?
Amélie : Je ne vais que très rarement dans d'autres librairies
(en vacances souvent) mais je comprends ce que vous voulez dire. Certains
personnes peuvent passer deux à trois heures chez nous à feuilleter, toucher,
regarder, s'esclaffer, discuter. D'autres viennent raconter leur vie, leurs
tracas, leurs joies. Nous les connaissons, sans vraiment les connaître, mais ce
sont toujours des morceaux de vie sur lesquels on s'attarde un peu. Le livre
invite plus à la lenteur que les téléphones portables ou les tablettes !
C :
Quels sont vos premiers coups
de cœur littéraires ?
Amélie :
"Le passeur" de Lois Lowry, une révélation littéraire !
"Petite histoire
d'amour" de Marit Tornqvist, album
malheureusement épuisé, mais d'une finesse incroyable !
C :
Et vos derniers coups
de cœur littéraires ?
Amélie :
"Bluebird" de Tristan Koëgel, éditions Didier jeunesse, et
"Quelqu'un qu'on aime" de Séverine Vidal aux éditions Sarbacane.
Je viens aussi d’achever "Le
tatoueur du ciel" de Hubert Ben Kemoun, et illustré par David Sala ,que je
n'avais jamais pris le temps de lire : magnifique conte écologique et sur la
sagesse.
Le libraire peut toujours
rattraper son immense retard, car il a la chance de pouvoir faire d’un
« vieux titre », son « coup de cœur » aujourd'hui et maintenant,
et ça c'est une grande richesse !
C :
Pouvez-vous me citer quelques bonnes
raisons qui vous donnent envie d'ouvrir votre librairie le matin ?
Amélie :
Rencontrer des gens et partager nos dernières lectures. Les convaincre que ce
livre-là doit être lu absolument !! Discuter avec mes collègues, mettre en
place des projets, aller travailler parce que j’aime ce que je fais !
C : Y-a-t-il une question que je ne vous ai pas posée et à laquelle vous auriez aimé répondre ?
Amélie : Je voulais vous présenter mon équipe : nous sommes quatre libraires spécialisés jeunesse (Benoît, François, Gwénaëlle et moi), deux vendeuses jouets-loisirs créatifs (Karine et Sarah) et Delphine, qui déballe, gère les commandes aux collectivités et leur suivi.
Sinon je serai curieuse d'avoir
votre image préconçue du métier de librairie avant la lecture de mes
réponses !
C (en
réponse à cette dernière question) : Je n'avais pas vraiment
d'opinion préconçue au sujet de ce métier... Je lis depuis toujours et, en
partie, dans les librairies ! Alors je connais un peu ce qui s'y passe... Et,
dans les salons du livre, nous, auteurs, sommes aussi face aux grands, moyens
et petits lecteurs et leurs familles ! L'ambiance est différente, bien sûr,
mais ces rencontres nous permettent aussi de "ressentir" ceux qui
lisent (et ceux qui ne lisent pas !), de « vendre » nos livres, en
les présentant, en livrant parfois quelques petits secrets de
création, en les commentant, en échangeant à propos de nos lectures et de
celles des enfants !
En revanche, il y a une chose qui
me fait complètement rêver dans votre métier ! Un pur fantasme ! Je trouve
merveilleux le fait que le libraire puisse lire en avant-première les nouvelles
parutions de ses écrivains préférés ! Je l'imagine, une fois sa boutique
fermée, assis au milieu des étagères, le livre convoité de tous entre les
mains, avec ce sourire gourmand et cet éclat dans les yeux, que seuls ont ceux
qui connaissent leur privilège !!! Je me trompe ? (Mais peut-être est-ce dans
son lit, comme tout le monde, le chat sur les genoux, la tisane à portée de
main, que le libraire lit !)
Réponse d'Amélie : La libraire lit effectivement dans son lit avec du thé et parfois son chat !
Un autre très joli article sur la librairie (cette fois, c'est Benoît qui répond aux questions !) : ici !
Le blog de La Courte Echelle, c'est ici, le site, là !
Mais mon plus grand plaisir a été de décorer les quatre derniers Harry Potter en avance et mon défi, de les avoir fini avant la date de parution !!! Grand plaisir de libraire !
✪✪✪
Un autre très joli article sur la librairie (cette fois, c'est Benoît qui répond aux questions !) : ici !
Le blog de La Courte Echelle, c'est ici, le site, là !
Et pour ceux qui ont envie de prolonger :
À lire, cet excellent article sur le site :
"Allez vous faire lire !"
Sujet : "Délit de faciès ou la couverture ratée"
Ici |